Reforme et perspective de la garde à vue

La Garde à Vue ou la rétention judiciaire d’un suspect sous l’autorité d’un Officier de Police Judiciaire (OPJ) fait couler ces derniers temps beaucoup d’encre.

Les récentes offensives jurisprudentielles que lui ont infligées tant la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) (01.) que les plus hautes juridictions nationales (02.) tendent incontestablement vers un renforcement effectif des garanties pour les personnes soumises à cette mesure privative de liberté.

C’est au travers de ce prisme que doivent être appréhendées les nouvelles règles instituées par la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue (03.).

01. Depuis de nombreuses années, la CEDH a dessiné les contours des standards européens en matière de garde à vue.

Les principales règles en la matière sont, sans être exhaustif, les suivantes.

 L’existence d’un droit au silence

Les principes directeurs du procès équitable au sens de l'article 6 de la CESDH imposent de reconnaître un certain nombre de droits effectifs au rang desquels figure notamment le droit de se taire.

Ainsi et aux termes de l’arrêt SALDUZ c/ Turquie du 27 novembre 2008, seule une renonciation non équivoque entourée de garanties permet de considérer que la personne concernée a valablement renoncé à exercer l'un de ses droits. A défaut, l'absence de notification à l'intéressé de son droit au silence rend ce droit théorique et illusoire.

Ce principe a été réaffirmé plus nettement dans l’arrêt BRUSCO c/ France du 14 octobre 2010 : la loi française ne garantit pas le droit de ne pas s'auto-incriminer.

 La nécessité d’un entretien avec un avocat dès le début de la mesure de garde à vue

Le droit positif français n'offrait jusqu'à maintenant qu'un rôle restreint à l'avocat lors de la garde à vue.

Son intervention se limitait à une simple possibilité d'entretien confidentiel de 30 minutes, renouvelable selon la durée de la mesure. graves, cet d'entretien était repoussé de 48 ou 72 heures.Pour certaines infractions particulièrement

Cependant, l’absence d’avocat dès le début de la garde à vue est régulièrement sanctionnée par la CEDH. Ainsi, dans l’arrêt SALDUZ c/ Turquie du 27 novembre 2008, il est clairement énoncé qu’il ne peut exister de régimes d'exception repoussant de plusieurs jours l'intervention de l'avocat. Pour que le droit à un procès équitable soit concret et effectif il faut que l'accès à un avocat soit ouvert dès le premier interrogatoire du suspect. A défaut il y aurait une atteinte irrémédiable au droit de la défense.

 Le droit à l'assistance d'un avocat tout au long de la mesure de GAV

La présence obligatoire de l’avocat tout au long de la mesure de garde à vue a été notamment fixée par les arrêts DAYANAN c/ Turquie du 13 octobre 2009 et BRUSCO c. France du 14 octobre 2010, et ce, quels que soient les régimes de la garde à vue.

Cette présence effective impose un accès au dossier.

 La mesure de garde à vue ne peut être soumise qu’au contrôle d’un magistrat indépendant

Les arrêts MEDVEDYEV c/ France du 10 juillet 2008 et du 29 mars 2010 et l’arrêt FRANCE MOULIN c/ France du 23 novembre 2010 sont venus contester au Parquet français son statut d’autorité judiciaire au sens de l'article 5 de la CESDH.

En effet, le cordon ombilical entre le Parquet et le pouvoir exécutif porte, par essence, atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité qui s’imposent à l’autorité judicaire en charge de contrôler une mesure restrictive de liberté.

02. Ce feu de critiques nourri de la part de la CEDH s’est dès lors imposé aux plus hautes juridictions nationales.

C’est ainsi que saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel, par décision en date du 30 juillet 2010, a jugé que les dispositions de la loi française relative à la non assistance de l’avocat au cours de la garde à vue n’étaient pas conformes à la Constitution.

Cependant et afin de ne pas porter atteinte au principe de sécurité juridique, le Conseil reportait les effets de sa décision au 1er juillet 2011.

Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation s’alignait sur le Conseil Constitutionnel en considérant contraires à l'article 6 de la CESDH les dispositions françaises quant à l’absence d’avocat au cours de la garde à vue.

La Cour de Cassation adoptait alors la même position que le Conseil en différant au 1er juillet 2011 l’applicabilité de cette assistance.

Cette position était confirmée par un arrêt de la Chambre Criminelle en date du 4 janvier 2011.

Plus encore, et s’agissant des qualités de l’autorité en charge du contrôle de la garde à vue, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a reconnu le 15 décembre 2010 dans un arrêt "CREISSEN" que le parquet ne présentait pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 5 § 3 de la CEDH pour être considéré comme une « autorité judiciaire » au sens de cette disposition.

03 – Face à un tel mouvement jurisprudentiel, le législateur n’avait pas d’autre choix que de moderniser et adapter le régime de la garde à vue aux standards internationaux.

Tel serait l’objectif de la loi du 14 avril 2011.

Sans entrer dans le détail de cette réforme, un certain nombre de nouvelles règles doivent être mises en exergue.

 Une redéfinition de la garde à vue

La loi du 14 avril 2011 insère une nouvelle définition inédite de la garde à vue

Le nouvel article 62-2 du Code de procédure pénale dispose en effet que :

"La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs".

Plus encore, la mesure de garde à vue ne peut être ordonnée que si elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs suivants :

- permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

- garantir la présentation de la personne devant le Procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;

- empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

- empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

- empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ;

- garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Dans la pratique, une telle définition devrait laisser toute latitude aux OPJ.

 L'obligation de notifier au gardé à vue son droit au silence

Le nouvel article 63-1 du Code de procédure pénale rétablit aux rangs des droits qui doivent impérativement et immédiatement être notifiés au gardé à vue, dans une langue qu’il comprend, celui de garder le silence.

 La nouvelle intervention de l’avocat

Désormais l'article 63-3-1 du code de procédure pénale prévoit : "dès le début de la garde à vue la personne peut demander à être assistée par un avocat informé de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête".

Dans le cadre de cette assistance, l’avocat n’est en réalité qu’en mesure de consulter le Procès-verbal de notification du placement en garde à vue, des éventuels certificats médicaux et les PV d’audition de son seul client, d’assister son client lors de ses auditions et confrontations et de prendre des notes et faire des observations.

Il ne peut ni consulter le dossier d’enquête, ni participer aux autres actes réalisés au cours de la perquisition.

Cependant, il importe de relever que la présence de l'avocat n'est pas rendue obligatoire. Il est simplement stipulé que la personne peut demander à être assistée.

Ensuite, le texte prévoit des exceptions relativement nombreuses.

Ainsi :

- les auditions peuvent commencer hors la présence de l'avocat si ce dernier n'est pas arrivé dans les 2 heures

- Le Procureur de la République peut autoriser sur demande de l'OPJ que l'audition débute sans attendre l'expiration du délai de 2 heures

- L'avocat peut être exclu de la mesure pendant une période de 12 à 24 heures sur autorisation du Procureur de la République (pour les 12 premières heures) et du Juge de la Liberté et de la Détention (pour les 24 suivantes)

- Il peut être privé de sa possibilité de consulter les procès verbaux d'audition si "cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes."

- Le report de l’intervention de l’avocat à la 48ème ou à la 72ème heure (trafics de stupéfiants et –terrorisme) est maintenu pour les infractions les plus graves

En l’état, l'ensemble des conditions d'exclusion de l'avocat sont ainsi aussi larges que la définition de la GAV.

 Le maintien d’auditions sans avocats

Plus encore, et en application de cette nouvelle définition, s’ouvre aux OPJ la possibilité d’entendre un suspect sans nécessairement décider de son placement engarde à vue, dès lors qu’il n’existe aucune contrainte.

Tel sera notamment le cas des personnes « convoquées » et « invitées » à se présenter au commissariat.

Le texte a donc maintenu le principe d’une audition libre.



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Il importe de souligner que ces nouvelles dispositions, qui manifestement ne répondent pas à l’ensemble des standards jurisprudentiels européens et nationaux, ne seront applicables qu’à compter du 1er juin 2011.

Or, le jour de la publication de cette réforme au Journal Officiel, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation rendait le 15 avril 2011 4 arrêts de principe rappelant à chacun des Etats membres de la CESDH l’obligation de respecter sans délais les décisions de la Cour de STRASBOURG.

En d’autres termes, et contrairement à la position infondée juridiquement et adoptée par la Chambre Criminelle dans ses arrêts du 14 octobre 2010, l’Assemblée Plénière est venue affirmer que l’ensemble des normes européennes encadrant le statut de la garde à vue et rappeler ci-avant était d’application immédiate.

Contrairement à ce qui a donc pu être écrit ou dit, la Cour de Cassation n’a jamais jugé que la réforme de la garde à vue s’appliquait immédiatement.

Elle ne dispose évidemment pas de ce pouvoir.

L’accès aux éléments de l’enquête, la présence de l’avocat à tous les actes de procédure au cours de la garde à vue et notamment lors des perquisitions, le maintien des régimes d’exception, et le contrôle des gardes à vue en matière d’enquête de flagrance et d’enquête préliminaire par une autorité qui n’est pas une autorité judicaire seront dès lors aux cœurs des discussions et des procédures lors des prochains mois.